Joseph Lesizza :
portrait d'un artiste authentique
Jo a consacré son être à l'Art. Instinctives et viscérales, ses créations s'expriment dans de nombreuses sculptures et collages dont la forme est l'une des pièces maitresses. Son œuvre est le reflet d'une ligne de vie, celle d'un artiste libre et résolument authentique.
L'art, le besoin de créer, coule dans les veines de Jo depuis sa naissance en 1925. Avec un père tailleur de pierre et un grand père travaillant dans les carrières, c'est avec le modelage de la matière en héritage que Joseph Lesizza découvre son premier émoi artistique : celui du regard curieux d'un enfant observant des tailleurs de pierre sculpter des anges sous sa fenêtre. Une révélation divine ? Le lien semble évident lorsque sa première œuvre aux Arts Décoratifs de Nice fut « La Nuit » de Michel Ange, l'une des allégories du temps. Car il a consacré toute sa vie à l"art, son art, authentique, vrai.
Né à Trieste en Italie, la famille Lesizza s'installe à Nice en 1931 avec un seul espoir dans leurs bagages : la soif de liberté. Une envie qui ne quittera pas Jo reconnaissant pour ceux qui lui ont « offert la possibilité d'évoluer et de (se) réaliser ». Electron libre, alors qu'il dirigeait un atelier de céramique, il décide de tout arrêter (ou presque) pour se consacrer à son art. A Vallauris, il a la chance de travailler dans un atelier jouxtant celui de Picasso. La passion s'échange et se transmet comme un virus. Nuits et jours, il créé : « Au lieu de manger, au lieu de dormir, vous sentez une pulsion, vous allez à l'atelier, vous prenez de la terre et vous vous mettez à sculpter ».
Fil d'Ariane : l'engagement
Si de nombreux collages complètent l'œuvre de l'artiste sa nourriture première est la sculpture. Un médium qu'il étreint avec frénésie. La forme est le sujet de son esthétisme. Abstraite ou figurative, charnelle ou graphique, l'artiste exprime dans la sculpture bien plus qu'une plasticité : « Extérioriser ce que j'ai en moi et le découvrir une fois l'œuvre terminée ». En voulant dire et découvrir ce dont il est porteur, Jo nourrit son art de sa vie, des pays qu'il a visité et qui l'ont inspiré (Égypte, Italie, Portugal, Espagne, Autriche, Malte...). Mais aussi et surtout une subsistance intellectuelle imprégnée par les droits de l'Homme, l'humanité, l'évolution de l'être... Un artiste engagé donc ? Il répond sans détour : « Je ne fais qu'apporter ma vérité ». Il suffit alors de voir, d'observer, dans son ensemble et dans les moindres détails la force de son œuvre. Symbolique, touchant, et profondément humain, l'art de Lesizza enivre les sens jusqu'à l'émotion.
UN HOMME LIBRE
L'œil rieur, les mains fortes, la pensée éloquente. Il est là, debout, fier, du haut de ses 92 ans. Avec le poids de la vie, des instants heureux et des difficultés qui ont jonché son chemin, Joseph Lesizza est un homme libre, opposé aux carcans et aux règles. Malgré de nombreux prix artistiques et sa participation à des expositions collectives en plein âge d'or de l'Ecole de Nice, il refuse toute étiquette, et encore moins d'être représenté par une galerie !
D'anecdotes en anecdotes, Jo construit un message, un parcours, il fait face et narre les nombreuses pages d'une vie riche d'art et d'amour. Amour pour sa femme, Yo, dont le décès a révélé la pleine puissance de sa création, instinctivement, comme un besoin viscéral. « Je suis fait pour créer. L'art a fait ma vie ».
Julie Baquet
INTERVIEW : JOSEPH LESIZZA
Comment est née votre envie de devenir artiste ? Un élément déclencheur ?
Mon grand-père travaillait dans les carrières, mon père était tailleur de pierre, il est venu en France trouver la liberté. Enfant, je regardais des heures durant les tailleurs de pierre sculpter sous ma fenêtre. J'étais fasciné !
Vous dirigiez un atelier de céramique et vous avez décidé de tout arrêter pour vous consacrer à la sculpture...
A Vallauris, j'ai eu le bonheur de travailler dans un atelier jouxtant celui de Picasso, tous les jours, je l'observais peindre, dessiner… Le soir, autours des grands fours qui cuisaient la céramique, nous nous réunissions et jusqu'à trois heures du matin, nous parlions d'art. Puis l'opportunité d'occuper un atelier de céramique personnel s'est présentée, et là, j'ai commencé à sculpter. La nuit, à l'atelier, il fallait attendre que les fours s'éteignent, j'en profitais pour créer.
Vous n'avez jamais accepté d'être représenté par une galerie, pourquoi ?
Il y avait une notion de mercantilisme qui m'écœurait ! À l'époque, vous offriez une sculpture à un responsable d'exposition et vous vous retrouviez en première ligne. Je n'ai jamais accepté cela, je voulais que mon travail soit juste reconnu pour sa valeur. Je ne suis jamais entré dans ce système.
Quel est votre processus créatif ?
Je ne sais pas comment ça fonctionne… Au lieu de manger, au lieu de dormir, vous sentez une pulsion, vous allez à l'atelier, vous prenez de la terre et vous vous mettez à sculpter. Ça n'est jamais réfléchi, c'est toujours instinctif et viscéral !
Parfois, sur mes collages, un petit point rouge faisait la différence, il m'arrivait de me lever à quatre heures du matin pour le rajouter.
Lorsque l'œuvre est terminée, que ressentez-vous ?
Heureux… Je me sens heureux… Heureux et libre ! Le décès de mon épouse, il y a dix ans, m'a offert la plus insupportable souffrance, mais aussi la plus grande liberté de création. Une forme de sublimation absolue, une impérieuse obligation créative ! Ça a duré dix années.
Y a-t-il eu une différence dans vos œuvres après le décès de votre épouse ?
Je ne crois pas. Je me suis toujours senti libre et sans apriori. C'est toujours le moi profond qui impose l'œuvre, vous la découvrez en la matérialisant.
Comment définiriez-vous votre œuvre ?
Les titres de mes œuvres parlent pour moi : « Solidarnosc, Les droits de l'Homme, l'Europe, Tremblement de terre en Arménie… ». C'est toujours l'évolution de l'être en fonction de l'évolution de la société. « On est tous porteurs de quelque chose, mais la plupart l'ignorent », pour un artiste, à un moment de sa vie, au delà de cette ignorance, on arrive à être libre et disponible à ce qui arrive, sans apriori, dans « le recevoir ».
Quel est votre regard sur l'École de Nice, fondée et en plein âge d'or à votre époque ?
Je suis à l'opposé, mais César a été représentatif de cette époque !
Si vous aviez à vous situer dans un mouvement artistique, lequel serait-il ?
Je n'en trouve pas. Bernard Damiano, par exemple, était Damiano ! Je suis Lesizza, sans étiquettes ! Les peintres de la préhistoire ont-ils eus des professeurs ? Ça veut dire quoi « L'école de Nice » ?
Ressentez-vous un besoin de reconnaissance aujourd'hui ?
Je me pose la question… Pas tellement de la reconnaissance, mais la valorisation de mon travail vis à vis des autres, la compréhension du pourquoi. Pourquoi j'ai créé.
Que peut-on vous souhaiter, aujourd'hui ?
J'ai fait des œuvres, dans l'ombre, par choix. Peut-être une mise en lumière ?
Comment jugez-vous votre vie ?
Simple, heureuse, créative, sans a priori.
Dates
1925 : Naissance de Joseph Lesizza
1946-51 : Arts Décoratifs de Nice
1963 : Salon de la Jeune Sculpture. Prix du Palais de la Méditerranée
1964 : Prix de l'UMAM
1965 : Prix de la ville de Beaulieu, UMAM
1970-72 : XXème anniversaire de la Jeune Sculpture - Sélection biennale de Menton – Musée Saint-Paul de Vence – Musée Vallauris
1984-85 : Villa Arson, CNAC Nice
1986 : Galerie des Ponchettes, Nice 10ème UMAM
1987-88-89 : Rencontre des Artistes Contemporains, Cannes
1990 : Castel des Arts, Vallauris – Festival des Arts, Beaulieu
1991-92-93 : Festival des Arts Beaulieu
1993-2017 : se retire sur les hauteurs de Nice, crée de nombreuses œuvres et collages, édite deux ouvrages.